Un juge de la Cour supérieure du Québec a autorisé lundi un recours collectif de 500 millions de dollars contre le gouvernement provincial pour le traitement « honteux » des résidents des Centres d'hébergement de soins de longue durée (CHSLD).

Le Conseil pour la protection des malades (CPM), une coalition de défense des droits des patients, a lancé le recours collectif en juillet 2018, citant 22 exemples de ce qu'il prétend être des conditions de vie dégradantes dans le réseau provincial des CHSLD.

L'autorisation du juge Donald Bisson signifie que le recours collectif peut être engagé, mais les allégations doivent être prouvées en cour. Le processus judiciaire pourrait prendre des années.

Le recours collectif allègue la négligence systémique et le mauvais traitement de patients dans des CHSLD.

L'action collective vise le gouvernement du Québec et 22 CISSS et CIUSSS qui exploitent des CHSLD un peu partout au Québec.

Le Conseil pour la protection des malades réclame des dommages et intérêts compensatoires de 250 $ à 750 $ par résident, ainsi que des dommages et intérêts exemplaires de 100 $ par personne, et ce, pour chaque mois passé dans un CHSLD.

Au total, les avocats estiment que le recours collectif toucherait 34 000 personnes, depuis le 9 juillet 2015, et que l'indemnisation totale demandée pourrait atteindre au moins 500 millions de dollars.

Des conditions de vie pénibles

Le demandeur principal est Daniel Pilote, qui souffre de dystrophie musculaire et qui vit dans un CHSLD à Saint-Jean-sur-Richelieu, en Montérégie.

L’homme de 57 ans qui réside au CHSLD Champagnat, centre de services relevant du CISSS de la Montérégie-Centre, depuis quatre ans et dont l’état requiert de nombreux soins à raison de plusieurs heures par jour, soutient que les membres du personnel soignant sont surchargés et épuisés, ce qui se reflète sur la qualité des soins qu'ils prodiguent.

Il relève également que le taux d'absentéisme au CHSLD Champagnat s'élève à 20 % du personnel, selon les informations qu’il a obtenues.

Le document judiciaire autorisant l'action collective énumère une série d'allégations, notamment que la qualité des services offerts au demandeur Daniel Pilote est inadéquate, insuffisante et déficiente, et porte atteinte à son droit à l'intégrité, la dignité et l'honneur.

On peut y lire entre autres que par manque de temps le personnel manipule souvent incorrectement son corps inerte, par exemple en le plaçant trop rapidement dans son fauteuil roulant et en le heurtant.

Il se plaint d’être traité par des personnes qu'il ne connaît pas et qui ne sont pas au courant des soins ou services particuliers que son état requiert, rendant ainsi les soins complètement impersonnels et empreints d'incompétence.

Des erreurs médicales

De plus, M. Pilote se dit régulièrement victime d'erreurs médicales, par exemple, la mauvaise canule est appliquée sur sa trachée et l'aspiration du mucus accumulé dans les parois de la trachée n'est pas faite en temps opportun, ce qui provoque l'obturation de la respiration et le fatigue considérablement.

Il ajoute qu'il n'est pas lavé adéquatement et il soutient que sa médication est souvent mal gérée.

Daniel Pilote remarque également que sur un étage du CHSLD où il réside avec 32 autres résidents, il n'y a que quatre préposés pour gérer les conditions de santé très lourdes de l'ensemble des résidents sous leur responsabilité.

Il a aussi noté que la nuit, il n'y a parfois qu'un seul infirmier pour 111 résidents dont certains ont des problèmes médicaux complexes, nécessitant des soins réguliers.

M. Pilote, qui dépend d'appareils respiratoires pour vivre, se trouve dans une constante angoisse de ne pas recevoir l'assistance nécessaire advenant une défectuosité de ses appareils. II vit une anxiété insoutenable, et craint que sa santé ne continue à se dégrader de ce fait.

Cesser les maltraitances

 

Cette autorisation de l'action est « encourageante », note en entrevue le porte-parole du Conseil pour la protection des malades, Paul Brunet, qui craint toutefois un appel.

On veut que ceux qui ont subi ces maltraitances, ces atteintes à leurs droits à la sécurité, à la sûreté, à la dignité, soient dédommagés. Ce n'est pas parce qu'on est dans un CHSLD que les lois du Québec ne s'appliquent plus quand on vous a fait du mal.

Paul Brunet, porte-parole du CPM

Il veut que l'avenir récolte les fruits de ce recours, notamment par l'adoption d'une loi qui prescrirait le plancher en deçà duquel un CHSLD ne peut mener ses activités.

Ce n'est pas comme ça qu'on traite du monde, s'est-il exclamé, ajoutant qu'une pénurie de personnel n'est pas une excuse.

M. Brunet souhaite que le gouvernement québécois se serve de son excédent budgétaire pour dédommager dès maintenant toutes les personnes victimes de ce gâchis, et ne fasse pas traîner ce recours devant les tribunaux pendant des années.

Les CHSLD responsables de négligence ?

Le Réseau FADOQ s’est réjoui par voie de communiqué de l’autorisation de cette action collective pour maltraitance organisationnelle contre le gouvernement du Québec. L’organisme avait d’ailleurs appuyé la demande de recours collectif du CPM en 2018.

Il importe de réparer les torts causés par les piètres conditions de vie imposées aux aînés les plus vulnérables de notre société, a déclaré Gisèle Tassé-Goodman, présidente du Réseau FADOQ.

Mme Tassé-Goodman a récemment signé une lettre ouverte intitulée Soins de longue durée : pour en finir avec la maltraitance organisationnelle, dans laquelle elle se porte à la défense des résidents des CHSLD.

En 2018, l'ombudsman du Québec a critiqué la gestion des CHSLD, accusant le gouvernement de réduire les services de base comme l'hygiène au point que les escarres sont devenues un problème endémique.

Le gouvernement du Québec a annoncé vendredi dernier son intention de mettre sur pied un comité d'experts pour élaborer une politique sur les soins de longue durée, sans toutefois aller dans le sens d’une loi qui régit les CHSLD comme en Ontario.

Article provenant de Radio Canada publié le 23 septembre 2019.